vendredi 31 décembre 2010

ANTIOPA (quatrième partie)

L’histoire d’Antiopa
Et du bon usage de la géométrie pour fabriquer des boites


On va finir par ne plus parler qu’étymologie ! mais c’est amusant de comprendre d’où viennent ces noms curieux de nos papillons !

Ce sont les allemands qui sont le plus évocateurs : Trauermantel, manteau de deuil, voilà qui évoque la tristesse d’Antiopa : Originaire de Grèce et veuve du consul Eugène, Anthie d’où vient le nom d’Antiopa fut la mère de Saint Eleuthère dont on fête le nom le 15 décembre dans les pays orthodoxes. Elle mourut décapitée dans l’arène sur l’ordre de l’empereur Adrien en l’an 130, pour avoir refusé de sacrifier aux dieux païens.

En vérité, il existe des tas d’Antiopes, notamment la reine des amazones. Heureusement, dès que l’on parle anglais, on change de registre : Mourning cloak en amérique ; Camberwell Beauty en Grande-Bretagne.

The Camberwell Beauty butterfly was identified for the first time in England at a farm on the butterflies had almost certainly arrived as stowaways on ships delivering timber from Scandinavia to the Camberwell docks in 1748. C'était la première fois qu'on le découvrait en Grande-Bretagne, et il fut ainsi nommé : "la grande surprise" !

C’est la présence d’argile dans ce quartier de Londres qui a permis l’installation de Royal Doulton, fabrique de porcelaine d’art bien connue. Pour honorer le papillon de Camberwel et l’art de la porcelaine, une grande fresque en céramique orne, depuis 1920  un mur de Southwark Council : Mural of Butterfly. Une mosaïque de 231 morceaux, constituant un tableau de 20x14 fts. Le symbole de Burgess Park. Mais un repère parfait pour les aviateurs allemands de la Luftwaffe pendant la seconde guerre mondiale. Pour les dérouter, Wiston Churchill fait démonter la fresque et cacher les carreaux de faïence. Le mur est remonté aujourd’hui, et constitue un hommage de taille à Antiopa !


En France, on parle du Morio, le fou ou bouffon en latin, à moins qu’il s’agisse d’une déclinaison du verbe morior, mori, qui désignerait la mort sous les coups du bourreau, allusion au martyre d’Anthie ?

Le papillon est grand, vigoureux, spectaculaire : les ailes découpées des vanesses. Une couleur uniforme violette très ecclésiastique. Une bordure crème tout autour. Rehaussée par des points bleus brillants dans la périphérie. Par contre les ailes fermées, on ne voit plus que du brun très sombre, formé comme s’il s’agissait d’une œuvre du peintre Soulage : de fines ondulations noires juxtaposées. Un camouflage parfait ! Femelle et mâles strictement identiques !

Beaucoup plus rare que les vanesses habituelles de nos jardins comme le Paon du Jour dont nous reparlerons, une des grandes satisfactions du collectionneur consiste justement dans l’élevage d’une telle espèce, ce qui va lui procurer, en une seule fois et en bon nombre si l’élevage réussit, les exemplaires dont il s’est juré à lui-même de remplir une boite.

La vanité du collectionneur peut être proportionnelle à la taille de la dite-boite !

Les grandes, car les petites mesurent la moitié et sont beaucoup plus commodes à ranger et transporter, mais trop petites pour le collectionneur vaniteux, mesurent en format normalisé 39cm x 50cm.

Elles sont habituellement fabriquées en carton par de petites mains habiles. Le carton est revêtu de papier marron, collé sur un fond vert, en laissant voir ce fond sur le pourtour, on rejoint le cadre à tableaux mais avec une profondeur suffisante pour loger la hauteur de l’épingle. Le fond est en liège pour être mou et dur à la fois. Le problème c’est la vitre qui sert de couvercle car elle est fragile ; en même temps ce couvercle doit être étanche aux prédateurs qui mangeraient les papillons secs comme leurs cousins dévorent les vieux livres.

Autrefois, on se faisait fabriquer par un ébéniste un meuble spécial à tiroirs pour ranger ces boites horizontalement, et Deyrolles était justement équipé pour loger des collections immenses puisque les papillons du Monde entier y étaient entreposés.

J’avais donc un Maître habitant Cahors qui m’a fait découvrir les merveilles de son Lot. Il était professeur de mathématiques au Lycée Technique de Cahors, et joignait la théorie des maths, à la pratique de l’ébéniste. Il construisait des boites spéciales, en découpant dans des vieux lits en noyer du Lot, bien secs, des planchettes. Et comme il disposait des fraiseuses à bois appropriées au Lycée, il était capable de fraiser des baguettes ayant la forme d’équerres, comme des baguettes d’encadrement mais sur mesure, pour contre-coller les côtés et le dessus. Il m’avait appris à ramasser chez les poissonniers leurs caisses en polystyrène ; à dérouler le fil chauffant de vieux radiateurs, à le brancher sur une prise de courant, pour en faire un fil à couper les caisses à poisson. De cette manière, nous fabriquions le fond des boites en polystyrène dur de 1cm d’épaisseur, lui-même revêtu dessous d’une feuille de liège épaisseur 2mm ; dessus d’une feuille de 1mm. Le fond devenant un sandwich liège-polystyrène-liège tel que l’épingle tenant le papillon perçait facilement la première couche ; était stabilisée par le polystyrène ; et bloquée par la dernière couche de liège du fond. On avait fabriqué des moules, avec des presses comme pour fabriquer une commode Boulle, et on s’adonnait à cette ébénisterie. Le sol de la boite était revêtu de velours, ce qui permettait de loger dedans du lindane, autrement dit du DDT pur, avant que l’on interdise l’usage de cet insecticide redoutable. Sans que l’on voie rien, la poudre blanche du lindane s’incrustant dans les poils du velours. La couleur du velours devant être assortie à celle du papillon pour en faire ressortir les couleurs par contraste. Et on chinait les marchands de tissus pour trouver la couleur appropriée. De l’encadrement de haute gamme ! Je possède trente boites de cet acabit, et elles sont l’écrin de mes collections passées. Et le testament que m’a laissé Robert Blanchard.

Une boite n’est jamais parfaitement rectangulaire comme elle aurait du pourtant l’être. Alors pour découper exactement le fond, il fallait faire une parallèle des côtés opposés et découper ; puis positionner le morceau partiellement découpé dans la boite. Restait à découper les côtés perpendiculaires. Il suffisait de prendre une parallèle avec l’autre côté de la boite pour trouver l’angle juste, avec une règle assez large. Découper. Et couper le dernier côté en mesurant les cotes de part et d’autre. C’est cette géométrie appliquée qui m’a fait comprendre l’intérêt de mesurer deux diagonales égales pour qu’elles s’inscrivent dans un rectangle parfait.

Robert reproduisait les expériences de Mendel avec des zygènes[1], et en croisant des variétés différentes, il obtenait la proportion de croisés prédite, dont naturellement des sous espèces très rares dans la nature. Il croisait aussi des Machaons européens (jaunes) avec des américains (noirs et ce n’est pas une blague). Jusqu’à ce que le hasard lui fasse obtenir un jour un hermaphrodite mâle européen jaune à droite, et femelle américaine noire à gauche. J’ignore ce qu’est devenu ce monstre de foire digne des histoires de Papillon ! Mais j’en ai toujours la photographie grandeur nature !

voilà le fameux exemplaire doublement extraordinaire : il est femelle à gauche ; et mâle à droite : un gynandromorphe.
Mais pire : il est américain (et noir en plus !) à gauche ; et européen (blanc=jaune) à droite !

L’âme de Robert a rejoint le monde d’en haut, et sa collection dont les fameuses boites a été dispersée à Drouot. J’espère que les merveilles qu’elle contenait sont entre de bonnes mains : elles étaient le témoignage d’admiration de la nature d’un « honnête homme, érudit du XXè siècle ».


Vanessa Antiopa est le plus somptueux des vanesses, mais c’est le plus rare aussi.

Car il a des mœurs curieuses : aussitôt éclos, à la mi-juillet, il entre en hibernation après une brève période de vol. Il ne reparaît qu’en mars, éprouvé par l’hiver et souvent décoloré, date à laquelle il s’accouple et où la femelle pond.

On l’observe plus aisément en montagne. Il est fréquent aussi en Camargue. Il a une aire de dispersion couvrant le monde entier, mais y vit isolé.


L’observer est donc une aventure !

Nous sommes toujours en Tarn-et-Garonne dans ces années 1970, et le challenge consiste à le trouver quand-même.

Je passe sur les insuccès qui marquent souvent les débuts.

Figurez-vous qu’à Cazals, dont nous avons parlé avec Euphenoides, dans un site on ne peut plus sec et apparemment dépourvu des saules et peupliers sur lesquels vit la chenille, pas de doute : un premier plane, grand papillon noir avec des reflets blancs, très vigoureux, montant et descendant le chemin. Et puis d’autres : en tout au moins cinq !

Allez les attraper : ils vous voient venir !

Le 3 avril, ils sont toujours là, deux au moins dans la fameuse combe de Bouyssette. L’un est pris d’un beau revers…gardé vivant…mis en cage…prêt, s’il le veut bien, à pondre ! Impossible de distinguer l’abdomen théoriquement plus gros de la femelle ! Justement, pas de chance, c’est un mâle !

Vous imaginez ensuite la prospection systématique des peupliers et saules de la région… N’est pas Jean-Henri Fabre qui veut : ça ne donne rien !

Jusqu’à ce que… le 25 juin…

Premier paradoxe : ce papillon, rare et isolé, pond ses œufs en groupe, une hélice serrée autour d’un rameau de saule dont la longueur peut faire 3 cm. Faut la trouver cette ponte ! Il en sort une chenille qui vit en colonie ! Cent, cent cinquante individus à la fois !

Second paradoxe, celui de l’arbre en boules isolé, plus intéressant qu’une forêt où l’on se perd : la propriété de Montpezat-de-Quercy où nous passions nos vacances possède deux saules, et dans la plus haute branche, les chenilles en question !

La plus haute branche est ployée, coupée, inventoriée, disséquée, jusqu’à retrouver la ponte des œufs vides de leurs chenilles, enrobées dans la toile d’araignée dont elles s’entourent.

Quatre-vingt-seize individus !

A midi elles sont toutes à l’abri. A l’époque je fabriquais des cages en quantité. Avec un doute modeste sur leur identité : pourtant tout concorde : les épines noires, les taches du dessus rouille. . Seulement elles ne sont pas adultes, doivent muer, et n’ont pas les taches rouge-vif caractéristiques.

Les 26 et 27 juin, tout ce monde se pétrifie, sauf des mouvements saccadés de la tête. Que se passe-t-il ? La mue ! Tout le monde ressort vivant, les épines grises, tout petits poils blancs, tache rouille franche !

Et une faim aussi horrible que collective !

Une seule solution : les remettre dans leur arbre, mais à l’abri : un risque en effet, éviter le parasitage, car les chenilles ne sont nombreuses dans la nature que pour permettre à une petite partie d’entre-elles de survivre, et là je ne supporte aucune prédation !

Du 28 juin au 5 juillet tout le monde est dans un manchon de nylon, dans le saule. Et grandit ; et mange ; il faut les changer de place, trois fois, les transvaser, une par une. Le 4 juillet, elles sont de belle taille, et s’agitent en tous sens.

Mises en cage, elles escaladent les côtés, et se pendent par la partie terminale au plafond. Tout le monde la tête en bas ! Cinquante deux chrysalides noires avec plein de faux piquants seront récupérées le six juillet.

Onze jours plus tard, c’est l’éclosion. Il est difficile à la pudeur familiale de dire où exactement, mais ce sont à de telles occasions que se mesure la grandeur d’âme d’une épouse : un appartement moderne n’est pas grand. Nous habitons au second étage d’un petit collectif à Montauban. Et j’avais tous simplement mis la cage ouverte dans la chambre à coucher.

Attirés par la lumière du jour, tous les papillons se ruent sur les rideaux. Ils y  provoquent la fameuse pluie de sang réputée au Moyen-Age, quand l’éclosion des vanesses les amène à lâcher une goutte de lymphe rouge par l’anus, signe de leur passage au stade adulte. Cela ressemble effectivement à des gouttes de sang, et il y en a autant que la colonie contenait de chrysalides. On comprend que les habitants des campagnes aient pu être impressionnés ! Les rideaux durent être lavés naturellement.

J’avais réussi mon premier élevage, et disposais d’une population propre à remplir non pas une, mais deux boites ! Compris la branche où avaient été pondus les œufs, et où subsistaient les traces des mues successives.

Me rendant  périodiquement au printemps à Lyon pour participer à Papillyon, j’y ai trouvé des éleveurs bien plus forts encore : ils font passer la chenille au dernier stade et sa chrysalide au frigo, et tripotent ainsi les mécanismes de la transformation. Ils obtiennent des adultes dont les couleurs sont modifiées, par exemple en supprimant toutes les lunules bleues en périphérie.


Les hommes ne cessent de vouloir jouer avec la nature pour fabriquer des mutants.


Faut pas s’étonner qu’ils veuillent jouer avec les Organismes Génétiquement Modifiés !


Même un collectionneur de papillons est tenté !

Alors…. !




[1] de petits papillons aux ailes bronzées devant et rouges derrière, la plus connue est la Zygène de la Filipendule. Quel joli nom !

Antiopa (troisième partie)


Vous voyez ma collection : Antiopa est rare dans la nature, difficile à observer, et pourtant j'ai du réserver deux grandes boites Blanchard pour les exposer. On voit tout : les pontes ; les mues successives embrumées d'une fine toile dans laquelle s'enrobent les chenilles. On voit la grappe des chenilles adultes avec leurs piquants noirs et leurs grandes taches rouges, dévorant les feuilles de saule blanc sur lequel a pondu la maman. On voit les chrysalides revêtues de la dernière mue recroquevillée comme un manteau qu'on aurait jeté. Et on voit les adultes, dessus ; dessous ; et je défie quiconque de reconnaitre un mâle et une femelle comme ça, à l'oeil nu. J'ai ajouté quelques aberrations comme savent les produire les éleveurs de l'Est quand ils les exhibent à Papillyon qu'il ne faut absolument pas rater tous les ans à Lyon naturellement.

Et si mes boites sont singulières, c'est qu'elles contiennent les photos des biotopes, car je me suis toujours intéressé aux conditions de vie des espèces chassées, puis forcément élevées. Et que pour élever les papillons, c'est comme les poissons, il faut maîtriser leur chaine biologique, et savoir les alimenter. Quand j'étais délégué à l'Aquaculture, j'ai suivi les élevages du midi, depuis Fos sur Mer jusqu'à Antibes, et la difficulté était toujours la même : quand l'alevin est minuscule, comment lui créer une nourriture (végétale ou bien animale vivante constituée souvent de minuscules crevettes) de taille inférieure à la bouche ? D'où les cultures d'algues, (pour alimenter les crevettes) qui doivent précéder l'élevage des poissons. D'où les cultures de végétaux, qui précèdent l'élevage des papillons.

Antiopa (deuxième partie)

On ne voit plus que cela aux Puces de Clignancourt : depuis qu'il n'y a plus de papillons, les collectionneurs rassemblent le peu qui reste dans de petites tours de verre, pour les revendre à des marchands. Comme les citadins recherchent le peu qui reste de nature sauvage, ils découvrent les papillons dans leur cage de verre et trouvent ça joli. Donc ils achètent (très cher.)

Alors je me suis demandé si avec mes stocks d'Antiopa, (je vous rassure il n'y en a pas tant que ça, mais ayant réussi dans ma vie deux élevages, j'ai eu les deux pontes), je ne pourrais pas moi aussi faire dans l'antiquaire-écolo-bobo.

Et voilà ce que ça donne :


là j'ai mis une aberration : elle a perdu ses taches. Au cas où je demanderais à Anne de me refaire un autre modèle, je lui montrerais celui-là, elle aurait moins de boulot !


Si maintenant vous n'êtes pas mûrs pour la troisième partie, alors c'est que les deux premières n'auront servi à rien !

Antiopa (première partie)

Fabriquant des automobiles (Renault dit : concepteur d'automobiles...) je me suis demandé pourquoi je ne tenterais pas de fabriquer un papillon. Que dis-je : des papillons. Mais commençons par un.

Alors je me suis jeté à l'eau et ça a donné ça :

On est sur ma table de travail habituelle que j'ai achetée chez Star Tissu : un engin en un matériau extraordinaire genre téflon, sur lequel les meufs-qui-font-du-patchwork découpent au rouleau genre découpe de pizza, mais avec une lame circulaire affutée comme un rasoir, leur tissu. Je ne puis plus m'en passer. Bref vous voyez bien le nez, les yeux, les antennes, les six pattes, le thorax qui tient l'articulation des ailes qui peuvent battre, et l'abdomen avec la chaine digestive stylisée.


Je vous ai montré une espèce de châssis. Avec les quatre ailes, ça donne ça. C'est cinq fois plus gros que le vrai, et donc plus imposant.

Alors je prends rendez-vous avec Anne, lui donne les croquis, des photos, et lui demande (quand elle aura le temps) si elle veut bien me peindre les ailes avec les vraies taches, dessus-dessous et tout et tout il faut que ce soit ressemblant. Le genre de commande qui l'énerve vaut mieux que je file doux tant qu'elle ne me l'a pas rendue !

et à la fin ça donne ceci :


les fruits sont à l'échelle : on les a achetés un jour chez Robba rue du Bac, et on n'imaginait pas qu'ils serviraient de support à un Antiopa géant, comme quoi dans la vie il est difficile de tout prévoir !

et puis j'ai construit une fleur pour Antiopa : elle se ferme la nuit et s'allume le jour elle est un peu délirante !

Simplet Babo

Je vais vous faire souffler un peu : arrivé en Arles, on a cherché tout de suite un santonnier, et on est vite tombés sur Colette et Julien : célèbres en Provence, ils avaient l'habitude de sculpter à la demande (pas de n'importe qui quand-même) un santon ressemblant, pour peu qu'on leur confie une photo.

Alors ils m'ont représenté en chasseur de papillons.

de trois-quart gauche peut-être ?


Le filet est de vraie étamine, le manche à virole de vraie canne de Provence, et je tiens un pot de cyanure dans la main gauche. Je porte (déjà) une ceinture abdominale, et ai dans le dos un panier de chasseur (pas pour les papillons : pour le piknik). Je ne nie pas avoir un air simplet, comme le ravi de tout bon village de Provence : il y faut un naïf, qui aime les papillons et les préfère au factice de la société bling-bling. Bon : depuis le temps, j'assume être un peu idéaliste...et figurer dans la crèche, mais en retrait, un peu loin des huiles, de l'âne et du boeuf et encore plus du petit Jésus qui en fait est le Chef, à ce moment précis ;  un peu loin avec les papillons (d'ailleurs à Noël ils sont un peu cachés eux aussi).

jeudi 30 décembre 2010

Dispar, the large copper




les deux générations côte à côte, et des photos argentiques difficiles à récupérer !


Heodes dispar
en Tarn-et-Garonne
ou la logique du biotope : « un trésor est caché dedans »

ou pourquoi il faut sauver les zones humides ?
et s’y connaître un minimum en botanique


J’ai commencé à chercher, vous vous en doutez bien, pourquoi Haworth, qui décrivait cette espèce pour lui anglaise, (mais elle occupe toute l’Europe), en 1803, avait repris ce nom latin de Heodes Dispar. Oh lui l’appelait familièrement Large Copper (il y a des cousins cuivrés de Heodes qui se nomment small ; sooty ; violet ; grecian Cooper…). De même nous utilisons le nom de :  « cuivré des marais ». Les allemands : Feuer Falter : un flamme de rouge feu cuivré dans le vert des iris d’une zone  marécageuse ! Ca se voit de loin !

Heodes inclut d’abord le nom grec : eos, l’aurore. Et eidos, « ressemblant à ». C’est donc le « papillon semblable à l’aurore ». Dispar signifie en latin : différent, à cause de la différence entre les deux sexes. A vous de deviner lequel est le plus éclatant, et fait penser à un lumineux lever de soleil !

Ce qui peut nous alerter, c’est que swamp drainage has been responsible for the decline of this species in Great Britain. Et ce depuis la moitié du XIXè siècle !

On draine ; le sol humide devient sec. Les plantes inféodées aux zones humides disparaissent. On a maintenant compris que les chenilles disparaissent de facto, donc l’adulte : the English subspecies became extinct over a century ago, and has since been remplaced by the Dutch subspecies batavus, wich was introduced into East Anglia around 1927.Voilà ce que l’on trouve dans la littérature spécialisée anglaise. La perfide Albion avoue !

Du coup, on peut comprendre qu’un collectionneur français se passionne pour cette espèce. Plus précisément pour la variété française rutila ! Et quand on saura que le collectionneur en question habite Montauban, dans les années 1970 (toujours avant 1976[1] !), dans une zone très au sud de l’épicentre des colonies connues, beaucoup plus au nord, dans les ex-marais de Saint-Quentin par exemple, on devine que l’espoir d’une découverte sera encore plus enivrant !


Le mâle, frais, est donc rouge feu, un point de lumière flamboyante, encore rehaussé par la bordure noire des ailes, et le bleu tendre et l’orange du dessous. Je vous l’avais déjà dit : où dame nature va-t-elle  chercher des associations de couleurs aussi réussies ? Le dimorphisme sexuel est très net : la femelle est un peu plus grande que le mâle, et a les ailes fauves, envahies de points noirs. Les postérieures sont brun noirâtre, avec une bande subterminale fauve. Mais surtout l’envers des postérieures est bleue : il faut observer le mâle pour le fun. Et la femelle pour l’efficacité, car elle va transmettre l’espèce !

Nous sommes le vingt-sept juillet 1971. Il est dix-sept heures. Bien tard pour une première rencontre : à une date officiellement impossible disent les livres spécialisés. Dans un endroit impensable : un verger de Moissac, ville plus connue pour son abbatiale romane, et pour son chasselas, plantée depuis l’arrivée des rapatriés en 1962 de vergers de fruits, entretenus à grandes pulvérisations de traitements phytosanitaires au cours de toute la saison. Il y a une clairière avec un bouquet de fleurs.  Il se pose : je le prendrai à la main ! C’est un éclaireur !

« Il » est donc bien quelque part ? ?

Mais  où ? ?

Je vais voir mon Maître, car j’en avais un alors (il faut toujours un Maître pour dominer toute discipline), un Maître es-papillons, collectionneur avisé, inventeur de boites de présentation innovantes et pleines d’astuces (une collection de papillons nécessite une mise en boites sophistiquée). Je puis bien dire qui il est aujourd’hui, car mon Maître est malheureusement disparu. Il se nommait Jean Roubinet. Il était venu me voir au bureau, plein de mystères, m’avouant qu’il était « Agent Secret », et qu’il camouflait cette activité (secrète) derrière un commerce ingénu : la chasse aux papillons. Il espérait de moi que je lui parle de biotopes que j’aurais découvert grâce à mes propres activités du Génie Rural. Son activité professionnelle lui donnait le motif à parcourir toute la France, où il traquait à défaut de dangereux subversifs la gente papillionnesque. Il avait inventé des boites incluant deux fentes dans la partie supérieure et inférieure. Posant dessus une vitre coupée exactement aux mesures, et équipé de ventouses latérales, il posait la vitre sur ses supports, et d’un clic, l’emboitait dans ses fentes. A l’époque, on trouvait communément du lindane dans les jardineries, et il en enduisait le fond recouvert d’un velours qui camouflait la poudre. Vous observerez que tout se faisait par la pratique de l’art du camouflage, art fort répandu dans la Nature ! Jean Roubinet était au demeurant dans une dialogie propre à nombre de Maîtres : transmettre à des disciples : oui ; mais former de jeunes concurrents qui vont devenir à leur tour Maître à la place du calife : pas question. Alors le Maître en question me lâche simplement :

-« il faut aller dans la vallée de la Barguelonne »

Il s’agit de la même rivière qui arrose la petite ville de Montcuq, qui a tant fait rire la France quand Jacques-Martin animait le Petit Rapporteur !

On comprend le Maître, quand on sait qu’à l’époque déjà, c’était la ruée des collectionneurs en juin et août dans l’Aisne et l’Oise, les parisiens collectionneurs (heureusement aujourd’hui ils ont disparu et ne passent plus leur temps que devant la télé à regarder les émissions animalières) voulant tous mettre Heodes en boite ! Le plus simple étant de cacher l’endroit où il vit pour le laisser bien tranquille !

Car s’il en est un, c’est typiquement le papillon du biotope.

Ce biotope, quand on l’a vu une fois, on ne l’oubliera plus jamais !

Il faut des marais, et Dieu sait s’il en reste peu. Quoique… ! On dira aujourd’hui : « zone humide ». Ils n’ont pas besoin d’être grands : un rectangle de cent mètres sur simplement dix peut suffire. Aucune station, que ce soit en Tarn et Garonne ou dans le Lot s’agissant d’autres espèces n’est plus grande !

Le phare de ce biotope : l’Iris jaune.


 
Et tout devient simple : pour chasser Heodes, on prend sa voiture, et on longe la Barguelonne, à la recherche de la tache jaune de l’Iris dans un pré. Encore faut-il que ce soit au moment propice, quand le signal brille, c’est à dire en juin.

Avec l’iris jaune pseudacaurus, il faut que l’on observe :

-le petit roseau Phallaris Arondicacea (on parle toujours latin dans le monde des papillons !)
-le carex paludosa
-le jonc effusus et sylvaticus
-la menthe aquatique
-le polygonium amphibium

Vous suivez ? Ah oui, il faut s’y connaître en plantes ! Où avez vous rangé votre vieille flore de Bonnier et de Layens ??

-l’Achillea ptearnica
-le Lythrum salicaria[2]
-le centaurea pratensis.

Tout cet ensemble donne un paysage bien différent, avant, pendant ou après la floraison évidemment.

Car la nature a donné une chance de rattrapage au collectionneur : il y a chez Dispar deux générations :

-la première début juin, bien nourrie au printemps et l’été de la saison précédente, mais parcimonieuse à cause de la rigueur de l’hiver.

-la seconde naît en août, après que la plante nourricière (nous n’en avions pas encore parlé) Rumex hydrolapatum (c’est tout bêtement une oseille) ait commencé de griller. Elle est plus commune, mais sous-alimentée elle est plus petite, parfois naine.

En fait les éclosions sont capricieuses et le papillon apparaît presque cinq mois, de mai en septembre, parfois même octobre.

La petite chenille hiberne au pied de la plante nourricière, dans une bulle d’air qui lui permettra de respirer pendant les inondations de la mauvaise saison.

Elle attaque les feuilles de rumex de manière caractéristique, creusant des canaux enchevêtrés, qui deviennent carrément des trous oblongs aussi gros qu’elle,  ce qui trahit sa présence.

Voilà pour la théorie, on en sait assez, il faut aller sur le terrain !

Je vous passe les essais malheureux : dès la fin mars, la première année, vous recherchez les fameuses feuilles attaquées. Du Rumex, on n’en voit pas. Est-il trop tôt ? On y retourne, mais est-ce le bon endroit, le trente juin. Est-ce trop tard ? Le coup de l’artilleur : un coup trop court, le second trop long ! J’entre-aperçois quand même deux mâles et une femelle. Le premier couple. Mais rien n’y fait : les places de vol sont si circonscrites que l’on ne peut parler de station. On en est encore au hasard. Il faut continuer à chercher.

Seconde année : nous sommes en 1972. Reprise des recherches précédentes le dix sept mars, dans un périmètre un peu plus limité grâce aux tentatives précédentes. Tout est inondé. Des œufs, il y en a, mais de grenouilles ! De l’oseille, point, quelques rares petites pousses. Même chose le vingt-quatre mars. Il faut aller voir le Maître !

L’oracle tombe :

-« la date de l’éclosion de la première génération c’est le 31 mai » !

Ces fameuses dates sont la condition nécessaire de la réussite, et quelques jours de différence suffisent à faire rater une campagne.

Le 31 mai (« encore heureux qu’il ait fait beau » dit la chanson), et que ça ait été un jour férié, par un soleil magnifique, je remonte en voiture la Barguelonne, de Cazes-Mondenard depuis le confluent par la D57.

Il y a des iris jaunes, et chacun est l’occasion d’une halte.

Enfin !

En face de la borne : 4 Km avant Cazes, séparé par un fossé énorme plein de joncs et de ronces, dans un bourbier d’eau, brille un iris.

Ils y sont…

Il fait une chaleur de four, et je me liquéfie sur place, n’osant bouger, attendant, fébrile, la prochaine apparition. De dix heures à midi, tremblant, j’en prends quatorze plaqués nerveusement par le filet de soie au sol : vite : bocal de cyanure[3], papillote sur les genoux, boite de Newman[4], sac.

Même chose le deux juin, dans une peupleraie toute proche, où les seules fleurs sont des chardons hauts comme un homme. Après une traversée hérissée d’épines, ils y sont encore, perchés sur les chardons, mâles et femelles.

Ces dernières se cachent dans les joncs et se lèvent lourdement, comme des canards, quand on les dérange.

Le samedi 9 juin, déjà les mâles se défraîchissent. Le onze c’est la fin.

Après ces exploits, ce n’est presque plus amusant : le rendez-vous pris, il suffit de s’y rendre à l’heure dite.

Le douze août, aux mêmes endroits, la végétation s’est transformée. Les fleurs innombrables : une féerie. Et Dispar, légèrement plus petit, est en nombre, un peu passé déjà. Pour l’année 1972, c’est fini.

L’année suivante, retour au bon endroit, au tout début du printemps, dans les mares remplies d’œufs de grenouille et déjà de têtards. A genoux dans l’eau, recherche des rumex. Feuilles fraîches : aucun intérêt. Feuilles taraudées : ah oui tu m’intéresses ! Et ça y est : une première chenille, espèce de limace verte, enroulée dans le trou de la feuille qu’elle dévore.

Arrive le propriétaire, il m’apostrophe ; je le prends pour le laboureur de Lafontaine.

-« mais que faites vous dans mon champ » ?
-« je cherche des œufs Monsieur ! »
-« vous ne vous fichez pas de moi par hasard » ?
-« mais ce sont des œufs de papillons Monsieur » !

-« Monsieur, votre champ…
… un trésor est caché dedans » !

Facile de dépoter une plante. Facile de mettre les chenilles dessus. Facile de lancer le premier élevage, de voir les chenilles grandir, se chrysalider, de voir éclore les premiers imago, tout frais, tout cuivrés, magnifiques !


Facile pareil de planter des peupliers : en poussant, ils assèchent la nappe phréatique, c’est pour ça qu’on les  plante là ! Facile ensuite d’y planter du maïs : cela va limiter l’apport d’eau par l’irrigation, c’est tout bénéfice. Et l’Union Européenne, en subventionnant la culture, va la rentabiliser plus encore. C’est une façon astucieuse de subventionner le lait en Bretagne, en finançant l’alimentation de laitières ainsi nourries au maïs-vert. Les prairies traditionnelles ont été labourées. Et les nouvelles variétés de maïs de l’INRA, adaptées à l’ouest, ont été semées à la place. L’aide au maïs « grain » a été maintenue pour le maïs « feuille », à la demande astucieuse des édiles bretons. C’est une aide mal appropriée, car le maïs laisse le sol nu l’hiver. L’eau de pluie ruisselle sur le granit étanche vers les cours d’eau superficiels, dans lesquels on puise l’eau destinée à l’alimentation en eau potable. En aidant les éleveurs, on embête les consommateurs. J’ai vécu cette dialogie sur place, en tentant de participer à sortir de ce nœud gordien. Mais impossible à dénouer car qui va oser supprimer le pactole consenti aux agriculteurs ?

Quelques années plus tard, la Bretagne  n’est toujours pas sortie de cette situation paradoxale !

C’est dans une situation assez similaire qu’il y a cent cinquante ans, drainage has been responsible for the decline of Dispar English species.

Cent cinquante ans plus tard, les entomologistes du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris ont créé Noé conservation[5]. Ils ont compris que s’il n’y a plus les plantes, il n’y a plus d’insectes, donc de papillons, et ont donc décidé de les recenser pour mieux les protéger. Car s’il n’y a plus d’insectes, plus d’abeilles entre parenthèses, plus d’oiseaux non plus pour les manger. Et s’il n’y a plus d’oiseaux, alors là on tire la sonnette d’alarme, car les oiseaux, on adore naturellement !


Protégeons donc aussi rumex hydrolapatum[6]

(s’il n’est pas déjà trop tard) !






[1] Depuis 1976, la convention dite de Washington identifie un certain nombre de papillons protégés, car devenant rares. Le mieux aujourd’hui est de photographier les papillons vivants, et de laisser les femelles pondre tranquillement sans les prélever.
[2] Qui a donné le nom d’une revue scientifique célèbre en Tarn-et-Garonne
[3] Parce que c’est une façon de tuer les papillons que l’on étalera plus tard, et rangera en collection.
[4] Pour éviter que les captures sèchent trop vite, et ne soient plus étalables le soir, on les range dans un bocal rempli de feuilles de laurier coupées en tranches : l’humidité qui en résulte maintient les articulations des captures souples.
[5] www.noeconservation.org
[6] Depuis lors, l’Europe et la France ont créé les ZNIEFF, zones naturelles d’intérêt floristique et faunistique. Ils ont inventé les CTE, contrats territoriaux d’exploitation, pour indemniser les agriculteurs s’efforçant d’avoir des pratiques d’exploitation respectueuses de l’environnement. Les pratiques vertueuses existent donc. Mais en même temps, l’agriculture productive d’une part, et l’utilisation des pesticides  par les jardiniers du dimanche mettent la France en premier pays au monde pour l’utilisation des molécules phytosanitaires. On peut craindre que dans ces conditions notre Dispar soit en danger de disparition sur le continent aussi. Il est vrai que nos enfants absorbent ingénument les mêmes pesticides mettant en cause leur fertilité future. Il s’agit donc d’un vaste problème…

Un chinois dans Paris

voici ma boite de Samia Cynthia, le chinois de Paris
et le deuxième livret publié par Réciproques
http://www.editionsreciproques.org/10.html

 
Samia Cynthia
Un chinois dans Paris

Jamais on ne le croirait : des papillons énormes vivent dans Paris ! On pourrait penser qu’il en existe dans les jardins et les espaces verts ; ainsi que dans les parcs et milieux boisés divers. Bien sûr il y en a à Versailles, des vanesses par exemple, Vulcain et le Paon du jour ; des piérides comme la Piéride du chou qu’on trouve partout. Mais dans Paris intra-muros, en ville, dans les rues, à proximité des grands monuments, au milieu de la circulation automobile, c’est incroyable, non ?

C’est mon Maître de Cahors naturellement qui a été le premier à me raconter cette histoire. Car j’ai eu, quand j’habitais Montauban dans les années soixante-dix, un maître es-papillons. Il habitait Cahors, dans une petite maison de ville pourvue de tout l’indispensable : un côté habitation autour de la cuisine pour la famille ; une aile-papillons consacrée aux élevages et au rangement des magnifiques boîtes de noyer du Lot hébergeant les collections ; et un jardin de ville planté de toutes les espèces botaniques possibles, susceptibles de plaire aux chenilles les plus diverses. Des papillons à Paris, je ne l’ai cru qu’à moitié, même s’il exhibait dans une superbe boîte d’énormes saturniidae, d’allure exotique, soi-disant capturés à Saint-Ouen. Des Bombyx de l’ailante, appelés encore saturniidae au latin pluriel -on dit en français saturnides. Ce sont des papillons de nuit, arborant aux quatre ailes des lunules parfois transparentes, faisant penser à des yeux. Les saturnides du maître vivaient heureux dans la banlieue nord de Paris, non pas qu’ils aimassent les antiquités qui rendent célèbres les Puces de Saint-Ouen, mais parce que leurs conditions de vie y sont particulièrement propices.

Les petites maisons ouvrières sont entourées de murs encadrant le jardin. Comme la sublime « maison coloniale » rue des Rosiers que nous visitons chaque fois que possible. Elle a été transformée par son propriétaire, un grand décorateur. Quand on avait le droit d’entrer, nous nous faisions une fête le week-end de découvrir les nouveaux objets ajoutés depuis la semaine précédente. Le jardin tout petit est rempli de statues soigneusement moisies pour qu’on croie qu’elles viennent directement d’Angkor. A l’intérieur, les murs ont été littéralement transformés en fresques, d’où surgissent fausses moisissures et autres fougères, comme si on visitait la cabane très améliorée de lady Jane et lord Tarzan. Et les pièces sont pleines de curiosa ayant trait à la vie sauvage. Des animaux empaillés de frais. Un grand singe aux grands poils rouges se vautre sur un canapé. Des perroquets ; coquillages et papillons naturalisés. Les jardins voisins sont restés intacts comme leurs maisons d’origine, et sont souvent plantés d’un ailante. C’est un arbre à grandes et larges feuilles. Et les murs créent pour les moineaux un espace clos, -j’écoute raconter mon maître avec ravissement- qui leur donne un sentiment de claustrophobie. Ils hésitent à descendre dans ces jardins, laissant les ailantes tranquilles. C’est ainsi que les grosses chenilles de Samia Cynthia dévorant les feuilles peuvent se mettre à table tranquillement, sans être attaquées par les oiseaux.

Elles tissent leur cocon dans une feuille enroulée. Et à l’automne, si les feuilles normales tombent, celles qui hébergent un cocon restent pendues, enveloppant leur précieux trésor. La chenille prévoyante a en réalité tissé un pédoncule de soie, sachant sans doute qu’à l’automne les feuilles tombent et qu’il faut tisser un fil pour les retenir. Le trésor est très visible même de loin. Il suffit d’obtenir l’autorisation du propriétaire, ce qui n’est pas facile car naturellement il ne croit pas vos racontars et se demande si vous ne préparez pas votre prochain casse chez lui. Et s’il a dit « oui », reste à trouver une échelle (il faut que le proprio soit vraiment sympa), et d’aller les cueillir pour disposer d’une petite récolte de cocons. La courtoisie consiste à en laisser une grande partie sur place naturellement. En juin, les adultes vont éclore, et vous pourrez les relâcher, pour qu’ils aillent se balader dans Paris, où ils vont naturellement s’éclater en faisant les boîtes (de nuit).
C’est à cette époque de l’année que les Parisiens trouvent les papillons adultes posés sur leur porte. Ils n’ont jamais entendu parler d’une chose pareille et s’esclaffent ! Tout de suite ils téléphonent au Muséum d’Histoire Naturelle. Et aussitôt un spécialiste (les scientifiques du Muséum de Paris sont particulièrement diligents), leur  répond aussitôt, par e-mail dont nous avons pu avoir la copie, et qui dit ceci :

« Vous avez rencontré, ce jeudi matin 18 juin 2009, le plus beau papillon de Paris. C'est un saturnide découvert, en Chine, par Chéron d'Incarville. Le Bombyx de l'ailante a été introduit en France, par l'entomologiste Guérin-Méneville en 1845, pour concurrencer le Bombyx du mûrier. Comme la saturnide du chêne du Japon (Antheraea yamamai) et le ver à soie Tussah (A. pernyi) afin de trouver une espèce capable de remplacer le ver à soie atteint alors de pébrine… ». Vous vous rappelez Pasteur n’est-ce pas ?
« La soie obtenue étant de moindre qualité, l'expérience a été abandonnée. L'invention du nylon est aussi à l’origine de l'abandon de la soie naturelle ». Heureusement que les Indiens d’Inde perpétuent leur tradition, et que l’on peut, toujours à Paris où l’on trouve tout, aller rue Lescot dans la boutique du « Monde Sauvage » acheter des soieries somptueuses venant des palais abandonnés des derniers Maharadjah.
« L’ailante, la plante nourricière, a été introduite en  même temps. Elle est capable de dépasser 25 m de hauteur, et s'est acclimatée en Europe et l'arbre pousse aujourd'hui très facilement à Paris. La chenille inféodée à la plante trouve à se nourrir, donc il est possible de trouver le papillon dans le XIIIe arrondissement. Samia Cynthia/ (Drury, 1773) est un Lépidoptère Hétérocère (papillon de nuit) de la famille des Saturniidae et peut avoir une envergure de 120 mm.  Le spécimen que vous avez observé est magnifique et je vous laisse apprécier sa taille, sa forme et sa couleur. La présence de poils blancs sur l'abdomen est caractéristique. Une bande rose se détache sur la teinte brun olivâtre des ailes antérieures en forme de faux. Le papillon aurait tendance à se cacher la journée et être actif la nuit mais il est facilement repérable en milieu urbain et se trouve dérangé par les hommes qui s'étonnent de sa présence. Nous avons tout simplement oublié le papillon, et son aventure parmi nous, en privilégiant la soie artificielle moins coûteuse. Je vous souhaite de vous arrêter, sur le chemin de vos vacances (sans doute la route de la soie), pour visiter une magnanerie. Ainsi, vous comprendrez mieux le récit que je viens de faire. »

Classe, hein,  le Muséum ! Normal, c’est un scientifique ! Sans doute universitaire ! Pour dresser le bilan de l’existence des papillons en France, c’est Lui qui a inventé Noé.conservation.com, consistant à demander aux amateurs de signaler par internet la présence de cinquante papillons communs. Cela va permettre de mesurer ce que l’on craint être leur disparition progressive. On aurait pu imaginer que de telles activités se développent en province ! Mais non, les grandes initiatives se passent toujours à Paris, et dans notre cas l’existence de Samia Cynthia dans la capitale légitime totalement ce pilotage central.

Alors quand on vit à Paris, on peut même faire un élevage de Samia Cynthia. Au fait, comment expliquer Samia, et Cynthia ?

Sami est un prénom arabe qui signifie « élevé ». C’est du moins la théorie s’il s’agit d’un prénom. En réalité, le Gaffiot indique que c’est un gâteau, fabriqué à Samos qui est une île des Cyclades. Où d’ailleurs on cuisine encore des gâteaux (des brioches ensaimada ; des gâteaux aux abricots ; aux amandes de marron), qu’on mange avec du muscat de Samos. Je ne vois pas trop le rapport avec notre papillon !….

Quant à Cynthia, il s’agit de Kunthia. Ce prénom fait référence à la mythologie. En effet, Kunthia fut le surnom donné à la déesse Artémis parce que la légende veut qu'elle soit née sur le mont Kunthos.

Le rapport avec notre chinois n’est je l’avoue, pas évident du tout ! Il aurait sans doute été plus judicieux de lui donner un nom Ming (明朝, en pinyin : míng cháo), en référence à la lignée d'empereurs qui a régné sur la Chine de 1368, date à laquelle elle remplace la dynastie Yuan, à 1644 quand elle se voit supplanter par les Qing.  Mais nos anciennes références grecques  obsédaient trop nos anciens !

On peut donc faire un élevage, en partant de chenilles si on en trouve aux Puces ; ou même de l’œuf pour peu qu’on trouve une femelle disposée à vous en pondre quelques uns. Il suffit d’habiter dans un endroit propice. Il y a aussi Ménilmontant ; ou Maisons-Alfort. Alors il suffit de laisser tout simplement dans son ailante l’œuf ou mieux encore la chenille, les recouvrir d’une enveloppe en étamine au cas où les moineaux auraient vaincu leur claustrophobie, et d’attendre tranquillement que les feuilles tombent toutes seules à l’automne. Celles qui ne tombent pas sont celles qui vous intéressent naturellement.


Il m’est arrivé fréquemment d’aller à pied du 76 rue de Varenne à la D.G.E.R. C’est la Direction Générale de l’Enseignement et de la Recherche du Ministère de l’Agriculture, qui, ancien Ministère des Paysans de Gambetta, a créé dès 1851 tout un système complexe pour assister les agriculteurs de la naissance à la mort, instituant notamment un enseignement spécifique (le savoir vert) ; un crédit spécifique (le crédit-agricole) ; un système d’assurance spécifique (Groupama) ; des mutuelles spécifiques (la mutuelle sociale agricole MSA), des Offices par filière comme l’Office des Céréales, maintenant délocalisé à Montreuil etc… Il existe donc toujours un Enseignement agricole spécifique, différent de l’Education Nationale, privé et public, où l’on prépare le Bac pro par exemple. Au top, c’est le 16 rue Claude Bernard, l’Institut National Agronomique, d’où l’on sort ingénieur agronome, et le 19 avenue du Maine, l’Ecole du Génie rural et des Eaux et Forêts. Désormais elle va former les nouveaux ingénieurs des Ponts, et des Eaux et Forêts, résultant de la fusion des corps des Ponts et Chaussées, et des Ingénieurs du Génie rural.  Tout ça est très parisien. Et la DGER est située avenue de Lowendal. Pas très loin des Invalides.

Le trajet à pied consiste donc à sortir de la rue de Varenne. Du numéro 76. Du Ministère de l’Agriculture donc. Vous observerez que ce ministère change de nom périodiquement. En ce moment c’est le ministère de l’Agriculture et de la Pêche. Mais c’est aussi le Ministère de la Forêt ; et de l’Alimentation. Et donc de l’Enseignement Agricole. On passe devant le musée Rodin où la cantine ouverte au public est d’ailleurs très bonne. On peut aussi manger rue Barbet de Jouy à la cantine du Ministère, très bonne aussi. Quand on est fonctionnaire parisien, il est vital d’être inscrit dans de bonnes cantines, pour pouvoir y déjeuner sainement entouré de collègues (de travail), comme ça on bavarde en mangeant, ce qui évite de bavarder avant ou après, et on atteint grâce à ça des performances professionnelles hors du commun.

Je suis donc rue de Varenne, et au bout je tourne à gauche boulevard des Invalides naturellement. Comme il faudra tourner plus tard à droite je change de trottoir (il faut passer au feu rouge car il y a deux voies et les Parisiens foncent sur les piétons hors la loi) et passe devant le musée des Plans-reliefs. Je passe devant l’Hôtel des Invalides, je pense à Napoléon, je pense à la Corse, et me dis que ce n’est pas ici que je vais voir Hospiton. Hospiton est le papillon le plus célèbre de l’Ile de Beauté. Je vais rue de Lowendal voir mon copain qui est adjoint du Directeur lui-même, et qui pilote tous les Etablissements d’Enseignement agricole de toute la France. Ce n’est pas rien !

Avant d’aller vers Lowendal, je traverse l’avenue de Ségur. Je la connais bien, car au bout il y a le Ministère de l’Ecologie, où j’ai d’autres copains qui tentent là de réaliser leurs rêves écolo. Maintenant c’est le Ministère de l’Environnement. Je vais les voir de temps en temps pour leur expliquer tout ce qu’ils pourraient faire avec les Systèmes d’information géographiques pour repérer les aires de vol des papillons, et surtout pour protéger les espèces végétales dont ils se nourrissent. Mais la plupart du temps mes copains qui ont de hautes charges au Cabinet, ou qui préparent le prochain rendez-vous de Bruxelles, ne m’écoutent pas, sachant que ignorant même qu’il existe des papillons dans Paris, et ignorant tout du latin et des plantes, monter tout ce bazar leur paraît tout bonnement superflu. Superflu, et incongru, puisque personne ne leur demande jamais de s’en préoccuper.

J’y vais quand-même pour l’honneur, mais j’avoue que ça ne sert strictement à rien, si ce n’est nourrir les bonnes relations ce qui est toujours utile.

Bon, voyez qu’en marchant je pense à tout ça, ce qui fait que, si on marche dans Paris, on réfléchit beaucoup ! Nous sommes en juin 2006, dans les derniers mois de ma vie active, et je préside le Conseil des Systèmes d’Information du Ministère de l’Agriculture. C’est un réseau de huit cents informaticiens et j’ai la charge « d’urbaniser » les systèmes d’informatique des composantes du Ministère, ça veut dire les organiser pour qu’ils fonctionnent entre eux à l’optimum. Et c’est un truc assez énorme puisque c’est avec ça qu’on paie la Politique Agricole Commune aux Agriculteurs. Et dans les ordinateurs géants qui centralisent toutes les données, il y a toutes les parcelles agricoles de France. Les vergers d’agrumes ; les oliviers. Il ne faudrait pas grand chose pour qu’on y ajoute les parcelles intéressantes sur le plan floristique et faunistique. Un outil gigantesque pour suivre l’agriculture. Mais qui pourrait servir à suivre la nature aussi, les plantes rares et même les papillons !….

Et je marche dans Paris, en pensant à tout ça,  pour voir mon copain de la DGER.

Vous avez noté que juin est le mois parfait pour le chinois de Paris qui vole sur les ailantes la nuit. Le jour, il est un peu ébloui et penaud, il peut se faire photographier n’importe où il s’est posé.


Et je vois… ça !





un chinois dans Paris !
l’histoire du Maître de Cahors :

était donc vraie !